Enquête sur la prostitution à l'université de Tizi-Ouzou

Montage : Université UMMTO - Deux femmes

Même si le phénomène de la prostitution n’est pas nouveau à l’université de Tizi Ouzou, il a explosé ces dernières années. Profitant de la misère sociale galopante et du laxisme des responsables de l’université et des autorités, les réseaux de prostitution règnent en maîtres au sein des cités universitaires filles de Tizi Ouzou.

Les différents réseaux qui sévissent à Tizi-Ouzou

Le réseau global de prostitution géré par des « extra »

Pendant notre enquête, nous avons constaté qu’il existe principalement deux formes d’organisation du réseau de prostitution. Il y a un réseau général géré par des extra-universitaires et qui est derrière tous les trafics et la délinquance qui pullulent à l’université. Ce réseau a la mainmise sur l’université, il y contrôle la distribution des drogues et l’exploitation des jeunes étudiantes dans la prostitution. D’après les témoignages des étudiants, enseignants, syndicalistes et les victimes de cette exploitation, le réseau est composé de personnes très dangereuses qui n’hésitent pas à menacer, voire violenter les filles qui veulent arrêter de se prostituer. Il a ses entrées dans l’administration locale qui facilitent aux filles servant d’intermédiaires l’accès aux cités universitaires ; certaines sont résidentes alors qu’elles ne sont même pas étudiantes tandis que d’autres ont fini leurs études et continuent d'occuper les cités U, avec la complicité de responsables.

Personnalités politiques de la région impliquées

Selon les témoignages recueillis, plusieurs personnalités politiques de la région sont impliquées, sinon clients, et servent de couverture aux délinquants. Nos témoins ajoutent que les services de sécurité sont aussi au courant des agissements de ces caïds et ferment les yeux, étant donné que ces mêmes délinquants sont utilisés en "baltaguias" pour semer la zizanie lors d’actions politiques hostiles au pouvoir en place. Un syndicaliste assure qu’à chaque action importante, ces réseaux sont instruits par téléphone d’opérer des contractions visant le sabotage. Il révèle aussi que des étudiants font partie de ces réseaux et touchent, en contrepartie, certains avantages pédagogiques et sociaux, des sommes d’argent, outre la mainmise sur la vente de stupéfiants et de la drogue à l’université.

Réseaux locaux de prostitution à l'université de Tizi-Ouzou

En parallèle au réseau général, composé de petits groupes répartis sur chaque cité universitaire sans que ces derniers ne soient directement reliés, il en existe d’autres spécialisés uniquement dans la prostitution. Ils sont présents dans chaque cité et servent surtout d’intermédiaires entre les filles et les clients. Ces réseaux moins importants ont aussi des accointances avec les administrations. Les témoins affirment que les étudiants impliqués ont même un accès aux cités universitaires filles, en violation de la loi. Ils pratiquent aussi des tarifs moins élevés que ceux du réseau général. Les filles qui font partie de ces réseaux n’ont que 30 % des tarifs négociés. Il reste à leur charge de bénéficier de plus d’argent une fois passées à l’acte avec les clients. Les témoignages assurent aussi que des responsables au sein de l’université, des agents de sécurité et des délinquants, qui rôdent dans les résidences universitaires, sont impliqués dans ces réseaux au vu et au su des autorités lesquelles laissent faire.

Mode de recrutement des prostituées à l'université Mouloud Mammeri

De nouvelles étudiantes sont recrutées à chaque rentrée universitaire par d’autres filles qui activent dans les réseaux. Les techniques de recrutement sont variées mais la plus répandue et celle qui consiste à attirer les nouvelles avec des cadeaux, des invitations au restaurant et des promesses d’une vie plus confortable. Quand le piège se referme sur ces nouvelles recrues, les sorties « entre amis » commencent à se transformer en sorties avec clients. Les proxénètes prennent le soin de prendre les filles nouvellement recrutées en photo et vidéo pour les faire chanter au cas où elles décideraient de se retirer.

Témoignages de victimes

Pour les besoins de l'enquête, nous avons rencontré des filles qui ont bien voulu témoigner de ce qu’elles endurent dans ce milieu. C’est le cas de K S. qui nous raconte qu’à sa première nuit à la cité universitaire, elle a été invitée par une fille, plus ancienne, dans sa chambre alors qu’elle n’avait encore jamais passé une nuit hors de sa maison. « Nous avons passé une très belle soirée lors de laquelle nous avions discuté, rigolé... J’étais impressionnée par la gentillesse et la générosité de la fille qui m’a invitée. Elle m’a offert un portable et une belle jupe. Pendant la soirée, elle m’a fait goûter à l’alcool et à la cigarette. J’étais très joyeuse », confie-t-elle.

« Aux alentours de minuit, poursuit-elle, nous sommes sorties faire un tour dans la cité et j’entendais des filles parler à haute voix, s’échangeant même des gros mots dans les couloirs. Ma nouvelle amie m’explique alors que ces filles sont membres du comité de la cité, elles s’amusent ainsi, et que personne ne peut rien faire parce qu’elles sont amies avec les agents de sécurité et même avec la directrice. Elles peuvent rentrer et sortir comme bon leur semble ; sortir la nuit et rentrer la nuit. Elles sont vraiment libres ».

K. S. ajoute que ces scènes qui l’avaient choquée au début sont devenues banales et que sa relation avec sa nouvelle amie s'est renforcée. Elle révèle qu'un week-end, cette dernière l’a invitée à une fête : « Elle m’a maquillée et habillée avec une belle robe tout en me complimentant sur ma beauté. Nous sommes parties avec un ami à elle à Boumerdes où d’autres personnes nous attendaient. Au début, j'étais méfiante mais j’ai fini par me lâcher. On a bu quelques verres et je ne me souviens plus de rien depuis. Je me réveille alors le matin dans une maison d’inconnus, toute nue dans un lit. Je me suis rapidement rhabillée et je me suis dirigée vers la cuisine où les autres étaient déjà là», ajoute-t-elle. Bouleversée, K. S. nous confie que sa vie est devenue un calvaire depuis cette soirée : «Je me suis rendu compte que des photos et vidéos ont été prises à mon insu et la fille m’a fait comprendre clairement que je dois obéir à ses ordres, sinon tout ce qu’elle a sur moi sera transféré à ma famille ». Ce témoignage est l’un parmi d’autres qui nous renseignent sur le mode opératoire des proxénètes qui n’hésitent pas à faire du chantage aux filles qui tombent sous leur coupe.

Laxisme et velléité de faire plonger l'université dans les abîmes

Tous les témoignages que nous avons recueillis sont unanimes : ce phénomène est encouragé à l’université de Tizi Ouzou par des forces occultes qui veulent la plonger dans le KO. Ils révèlent une velléité de casser toutes les bonnes volontés et de contrôler cette institution par des bandes au service d’agendas politiques aux antipodes avec l’histoire de l’université Mouloud Mammeri. Cette stratégie vise aussi à stigmatiser une université qui a toujours été à l’avant-garde des luttes démocratiques et syndicales, en cassant toutes les bonnes énergies et en faisant plonger l’université dans un climat d’insécurité et de délinquance.

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